Apprendre à se libérer

Le voyage semble être un espace-temps propice à l’écriture. Que nenni. Déchiré entre le désir de raconter nos aventures et le temps consacré à la logistique d’un tel voyage nous sommes toujours à chercher le moment propice à cette tâche. Le matin ne s’y prête guère, désireux de vouloir se mette en marche pas trop tard, l’après-midi non plus, consacré aux ballades, aux visites ou aux ajustements du camion, pas plus que le soir, dédié à la recherche d’un lieu où dormir et manger. Au final, après avoir travaillé sur les photos à mettre en ligne, fait les comptes de la journée, organisé la Sopol-mobile, peu d’énergie nous reste pour écrire. Sans compter la difficulté de trouver du wi-fi pour partager nos images, communiquer avec la famille et faire des recherches pour les cartes de la région et autres renseignements. Les souvenirs s’accumulent et se mélangent, les rencontres s’additionnent, les paysages défilent avec la frustration d’en manquer plus que l’on en voit.

Plus que jamais, la difficulté de concilier passé, présent et futur agit sur nous. Ces trois constituantes de notre temporalité se collisionnent. Habités par toutes les images des journées précédentes et vouloir en garder un souvenir précis et clair; rester vigilant à ce qui se passe sous nos yeux et vivre pleinement le moment présent; soucieux de préparer le lendemain sachant que choisir c’est renoncer. De tous les préparatifs des dernières années, rien ne pouvait nous préparer à ce changement drastique : comment garder une mémoire de cette aventure pour nous et en partager une partie avec ceux qu’on aime, tout en restant branché sur nos expériences ? Peut-être sommes-nous encore pris dans le moule de notre vie passée, où nos plaisirs doivent aller de pair avec la productivité. Un mois sur la route est peut-être le début d’une transformation nécessaire permettant d’accepter que tout ne peut, ne doit et ne sera consigné. Qu’écrire, photographier, transmettre, partager nos expériences ne sera finalement qu’une image tirée d’un long métrage à 24 images/seconde. Que la volonté que nous ressentons tous, à divers degrés, de laisser une trace, figer le moment, faire vivre nos expériences par l’entremise de nos mots et nos photos n’est qu’illusoire et est, au mieux, qu’un vague reflet de tout ce qui constitue notre vie.

Combien de fois l’immensité des montagnes ne pouvait se cadrer dans le viseur de la caméra ? Ou encore, la frustration de manquer de mots pour faire ressentir les odeurs des forêts humides, de vouloir une caméra plus petite et toujours prête pour filmer les chemins escarpés dans des décors féériques… Combien de fois regarder l’écran et se dire : « ce n’est pas ça… ».

Mais surtout, combien de temps cela prend t-il pour abdiquer devant la beauté du monde et cesser de toujours vouloir la mettre en boite?

11 thoughts on “Apprendre à se libérer

  1. Laissez-vous aller sans vous mettre de pression ou d’obligations d’écrire, de rendre aux amis et de vouloir tout partager. Moi, je savoure ce qui m’est offert, sans attente. Vous êtes ailleurs, dans une perpétuelle découverte et c’est bon de prendre son temps pour absorber, se laisser imprégner par tant de moments de grâce. xoxox

  2. Vivez ce que vous avez rêvé de vivre. C’est tellement bon de vous lire, chaque ligne chaque photo, me donne envie de prendre la route!!!
    Tout sera gravé en vous, fera partie de vous, c est votre aventure, votre liberté.
    Carpe diem les amis. Nous vous embrassons fort.

  3. Oh que je vous comprends ! Ne lâchez surtout pas, ce blogue sera précieux à votre retour ! C’est toujours divertissant de vous lire. Bonne route, vous n’en êtes qu’au début, chanceux !!!

  4. C’est bon signe si vous ne trouvez pas le temps d’écrire. C’est que vous faites un beau voyage! Ça me rappelle mon année sabbatique. J’avais une liste d’envoi, car le blog n’avait pas encore été inventé ou n’était pas connu à cette époque pas si lointaine. Les moments où j’écrivais le plus sont ceux où il y avait un creux dans mon voyage. Les parties de mon voyage dont j’ai le moins de traces écrites sont les meilleures. 😉

  5. Je comprends tellement tes propos Paul. Mes 2 derniers voyages en moto en solo m’ont laissé exactement les mêmes sentiments. L’envie folle de partager chacune de mes journées avec ceux qui sont restés derrière dans les moindres petits détails, et en même temps un manque d’énergie pour le faire…

    Ce besoin de tout prendre en photo, de tout filmer et de tout noter, il s’estompe avec les journées qui passent. Dans votre cas, les mois…
    Cependant, si vous garderez dans votre tête et dans votre coeur toutes les belles rencontres et les aventures, c’est quand même par la voie des « machines » que vous vous rememorerez les IMAGES que l’on a tendance à oublier avec le temps…

    Mais de grâce, faites le pour vous avant tout.

    Et comme le dit Line: On est bien chanceux d’en appercevoir quelques petits bouts. L’important c’est de vous savoir bien,…

    Reste que vos photos sont à couper le souffle, et vos récits, passionants.
    Parlant de vos photos, je ne me souviens pas d’avoir vu autant de paisibilté sur des visages…

    Bonne continuité.

  6. Encore quelques temps sur vos chemins de traverse et une université voudra sûrement vous décerner un doctorat honorifique en philo!
    C’est toujours un grand plaisir de vous lire: le « vague reflet » de votre nouvelle vie a de quoi émerveiller l’abonnée au train-train quotidien qui vous transmet ce message.
    Et la beauté des paysages que vous tentez d’immortaliser ne s’en trouve que plus majestueuse dans mon esprit quand je me souviens à quel point une photo, en effet, ça ne rend jamais tout à fait compte de ce qui nous entoure (ça m’arrive tout le temps aussi de me dire ça!).

    Bisous et bonne route, bonnes rencontres

  7. Je suis ambivalent. Est-ce qu’on vous laisse aller ou on vous discipline un peu? Lorsque vous vous libérez, vous le faites aussi un peu pour nous. Alors, laissez-vous aller mais ayez un peu de discipline. Bonne route!

  8. Mince alors et moi qui allait vous demander l’adresse de votre page Facebook, le compte Twitter, le tchat Google+, le youtube onAir, le channel IRC pour vous suivre à fond !
    Allez profitez-en bien tant que vous savez où se trouve Montréal sur la carte !
    On vous réapprendra les pancartes de stationnement promis :p

    1. Peut-être essayez-vous de trop en faire, trop voir, à chaque jour? Votre rythme semble un peu essoufflant à te lire! Prenez le temps de vivre, savourez les paysages, l’odeur de gasoline, le bleu du ciel, bref, savourez le moment présent! Il n’y a que ça.
      p.s. Vos photos font quand même d’excellents fonds d’écran!

  9. Lâcher prise, c’est pas si facile, tellement programmés que nous sommes à « livrer ». Mais devant la beauté du monde, comment ne pas abdiquer?
    Vrai qu’on aime vous lire et voir vos magnifiques photos, mais tant qu’on vous sait heureux et en santé, on saura attendre pour les images et la prose. Vous en avez fait du chemin, et pas seulement sur la route…

  10. Oui prendre le temps pour vous surtout ! La boîte n’est pas le principal. Beaucoup d’histoires, de sensations, de rencontres resteront en boîte ou non :-).

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